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  • Photo du rédacteurOlivier Baillet

Liberté de recourir à l’IVG : après la France, l’Europe ?

Lundi, le Parlement réuni en Congrès a adopté à une écrasante majorité un projet de loi constitutionnel inscrivant l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. Plus précisément, les parlementaires ont ajouté un alinéa à l’article 34 de la Constitution, qui définit les matières dans lesquelles le législateur peut légiférer - par opposition au gouvernement, l’exécutif. Il se lit ainsi : "La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse".


"La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse"

Contrairement à une opinion répandue, le recours au mot "liberté" plutôt qu’au "droit" ne change, du point de vue du seul droit, pas fondamentalement la question.


Plusieurs États ont des législations très restrictives en la matière. La Pologne et Malte n’autorisent par exemple l’IVG qu’en cas de danger pour la vie de la mère.

En revanche, se pose la question de savoir si ce droit pourrait être aussi protégé au niveau de l’Union européenne. L’enjeu est réel. Plusieurs États ont des législations très restrictives en la matière. La Pologne et Malte n’autorisent par exemple l’IVG qu’en cas de danger pour la vie de la mère.


Premier constat : il ne l’est pas en tant que tel. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’en fait pas mention. Ce texte a une force juridique depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, en 2009, après l’échec du traité établissant une Constitution pour l’Europe suite aux "non" français et néerlandais. Inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse implique cependant une procédure "lourde", car la Charte a la même valeur que les traités qui fondent et régissent l’Union. La Commission, le Parlement européen ou même un seul État membre peut enclencher la procédure. En revanche, il faut ensuite que les États Membres, réunis au sein du Conseil européen, parviennent à se mettre d’accord sur une formulation. Ensuite, chaque État devrait le ratifier à son tour, soit par son parlement national, soit par référendum. Le choix entre ces deux voies dépend uniquement des États eux-mêmes, pas de l’Union. Tout dépend des Constitutions et traditions de chacun. En France, par exemple, le choix est ouvert. Le défaut d’un seul État suffirait à en empêcher la consécration.


Second constat : même s’il l’était, en l’état actuel de l’Union, le droit ne s’appliquerait pas nécessairement dans toutes les sphères juridiques. Toutes les institutions de l’Union - la Commission, le Conseil, le Conseil européen ou le Parlement - seraient tenues de le respecter en tout état de cause. En revanche, les États membres ne seraient tenus de le respecter que lorsqu’ils appliquent le droit de l’Union. Or, il existe peu de droit de l’Union en matière de santé ou de famille car elle n’a pas vraiment compétence pour agir dans ce domaine.


La Cour de justice de l’Union européenne, la juridiction qui se prononce sur le droit de l’Union, soit directement, soit lorsque les juges nationaux le lui demandent, a déjà eu à connaître de la question de l’IVG. Dans une affaire concernant l’Irlande, la Cour de justice a estimé que l’avortement était un "service" et que des limitations à l’exercice du droit dans un pays où il est légal pouvaient être contraires au droit européen. À l’époque, l’Irlande n’autorisait pas l’avortement. Cette protection indirecte ne permet, dans l’absolu, aux citoyennes européennes de recourir à l’avortement dans un autre État membre. Cela implique, entre autres, des inégalités importantes, notamment du point de vue économique.


On pourrait concevoir que la Cour européenne des droits reconnaisse un droit général à l’IVG dans sa jurisprudence [...]. [...] le droit à la vie privée, qui pourrait accueillir le droit à l’avortement

Reste d’autres options, notamment la Convention européenne des droits "de l’Homme" (il s’agit de sa dénomination officielle). La Convention est un texte distinct et antérieur à l’Union. Il lie les États au-delà de celle-ci. La Turquie y a par exemple adhéré, tout comme la Russie jusqu’à ce qu’elle en soit exclue suite à l’invasion de l’Ukraine. Mais tous les États de l’Union européenne y ont adhéré, et l’Union elle-même devrait y adhérer dans les années à venir. Le texte date de 1949, et l’IVG n’y figure pas non plus. Cependant, on pourrait concevoir que la Cour européenne des droits reconnaisse un droit général à l’IVG dans sa jurisprudence. La Convention reconnaît par exemple le droit à la vie privée, qui pourrait accueillir le droit à l’avortement si une affaire se présente et que les juges y étaient prêts. Pour l’instant, la Cour a surtout sanctionné les États dans des affaires où la santé de la mère était en danger, ou bien lorsque le fœtus présentait des malformations graves et que la mère avait dû se rendre dans un autre État pour pouvoir avorter. De même, elle a sanctionné en 2022 la Russie pour avoir permis un avortement imposé à une mère par ses propres parents.


Une telle reconnaissance par la Cour européenne des droits aurait l’avantage que les États devraient alors respecter le droit en toutes circonstances

Une telle reconnaissance par la Cour européenne des droits aurait l’avantage que les États devraient alors respecter le droit en toutes circonstances. Bien sûr, encore faut-il qu’ils exécutent les décisions de la Cour. Parfois, ils s’y refusent ou mettent du temps. La Cour a par exemple jugé que tous les États devaient octroyer une forme de reconnaissance juridique telle que le PACS aux couples de même sexe, mais certains États ne le font toujours pas.


La décision française envoie en tout cas un signal symbolique et politique très fort et pourrait entraîner d’autres États à faire de même. Ainsi, le 6 mars, Sumar, l’un des partis au pouvoir en Espagne, a déclaré vouloir inscrire le droit dans la Constitution espagnole. L’avenir le dira, l’initiative française semble pouvoir faire tâche d’huile et permettra peut-être de renforcer, au sein de toute l’Union européenne, ce droit essentiel de la femme.

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