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Photo du rédacteurNadia Lounici

Congés payés et arrêt maladie ou accident non professionnel

Dernière mise à jour : 13 juin

Quelques mois après la naissance de Salades d'Avocates, Thaïs nous régalait d'un article s'intéressant aux effets d'un arrêt de travail sur l'acquisition des congés payés que vous pouvez retrouver ici.


Des décisions récentes nous amènent à nous pencher à nouveau sur cette question.


En effet, aux termes de trois arrêts de la Cour de cassation en date du 13 septembre 2023, il a été reconnu au salarié un droit d'acquérir des jours de congés payés durant un arrêt de travail pour maladie ou accident non professionnel. Ce faisant, elle a aligné sa jurisprudence sur celle de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) retenant, sur le fondement de l'article 31§2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de l'article 7 de la directive 2003/88/CE, le droit au congé annuel payé à tous les travailleurs sans qu'un État membre ne le subordonne à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit État.


En réponse à cette situation, le Gouvernement a souhaité proposer un amendement "permettant de rendre le droit du travail français conforme avec le droit de l’Union européenne dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole" et sollicité l'avis du Conseil d'État à ce sujet.

Il faut savoir que ce projet d’amendement prévoit, entre autres :


  • l’acquisition de deux jours (en lieu et place des deux jours et demi) ouvrables de congés par mois soit quatre semaines par an pendant les périodes au cours desquelles le contrat de travail est suspendu à raison d’une maladie non professionnelle ;


  • lorsque les congés n’ont pu être utilisés partiellement ou intégralement pendant la période de prise des congés prévue à l’article L. 3141-13 du code du travail, en raison de ce que cette période a expiré pendant un arrêt de maladie : un délai de report des congés payés acquis de quinze mois courant à compter de l'information que reçoit le salarié de ses droits à congés postérieurement à sa reprise d'activité ;


  • lorsque les droits à congés naissent pendant de très longs arrêts de maladie s’étalant sur plusieurs périodes consécutives d’acquisition des droits : une délai de report des congés payés acquis de quinze mois débutant à la fin de la période d’acquisition des droits ; les droits à congés expirant définitivement au terme de ce délai même si le salarié est encore absent en raison de sa maladie et que l’employeur n’a pu, en raison de la suspension du contrat de travail, l’informer de ses droits ;


  • une application de ces dispositions à compter du 1er décembre 2009 sous certaines conditions ;


  • un délai de forclusion de deux ans à compter de la publication de la loi pour réclamer à son employeur les congés que le salarié aurait dû acquérir au cours de ses périodes d'arrêt maladie (depuis le 1er décembre 2009).


Quelques mois plus tard, dans ses séances des jeudi 7 et lundi 11 mars 2024, le Conseil d'État a rendu un avis aux termes duquel il a tout d'abord rappelé que :


"En application du droit de l’Union européenne et de la jurisprudence de la Cour de cassation, les salariés doivent acquérir des congés en arrêt maladie, quelle que soit l’origine de la maladie (professionnelle ou non)."

Le Conseil d'État a ensuite répondu à plusieurs questions qui lui étaient posées s'agissant de l'amendement proposé par le Gouvernement et notamment que le droit au repos garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 n’impose au législateur aucune durée minimale de droits à congés, s’il entend prévoir que des périodes de maladie non-professionnelle permettent d’en acquérir mais qu'une durée minimale de quatre semaines doit être prévue conformément aux dispositions du droit européen ou international.


Il s'interroge ensuite sur la différence de traitement introduite entre les salariés en activité professionnelle - qui acquièrent deux jours et demi ouvrables de congés par mois - et les salariés absents en raison d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle - qui acquièrent quant à eux, uniquement, deux jours ouvrables de congés par mois - pour en conclure que cette différence "ne méconnaît pas le principe constitutionnel d’égalité" et que "les dispositions envisagées par le Gouvernement ne sont, en tout état de cause, pas susceptibles d’entrer dans le champ des discriminations interdites par le droit de l’Union européenne". 


Ainsi :


"Le législateur n’est pas tenu [...] de conférer aux périodes d’absence pour maladie le même effet d’acquisition de droits à congés que les périodes de travail effectif ou les périodes de suspension du contrat de travail liées à un accident du travail ou une maladie professionnelle. Seule s’impose à lui l’obligation de garantir que les dispositions relatives aux absences en raison d’une maladie non-professionnelle n’ont pas, faute de permettre l’acquisition de droits à congés, pour conséquence de priver un salarié d’au moins quatre semaines de congés annuels."

S'agissant du report des congés, le Conseil d'État rappelle, sur le fondement de l’article 7 de la directive 2003/88/CE et de la jurisprudence de la CJUE, que le principe selon lequel le travailleur doit avoir été en mesure d’exercer effectivement son droit à congé, "fait obstacle à ce que ces droits puissent s’éteindre définitivement pendant cette période d’absence" et qu'une "période de report d’exercice de ces droits à congés non utilisés doit être prévue, dans des conditions garantissant que l’employeur met le salarié 'en mesure d’exercer de manière effective son droit à congé' ". 


Il en résulte :


  • que la période de report ne débute qu’à la reprise effective du travail ;


  • que l’employeur doit, au moment de ce retour, informer le salarié de ses droits et notamment du nouveau délai de report dans lequel il pourra les exercer ;


  • que ce délai de report doit être d’une durée suffisante pour permettre au salarié d’échelonner et de planifier l’ensemble de ses congés.


Cependant, dans la situation d’un salarié absent pour maladie pendant une très longue durée, correspondant à plusieurs périodes de référence consécutives et "afin d’éviter qu’une telle circonstance ne permette l’acquisition de droits à congé s’additionnant de manière illimitée et ne répondant plus aux finalités du congé annuel", le Conseil d'État rappelle que la CJUE a admis que les droits acquis lors d’une absence pour maladie et dont la période de report expire alors que le salarié est encore absent à raison de cette maladie, soient définitivement perdus pour ce dernier à la condition que la période de report, calculée à partir de la fin de la période de référence, soit substantiellement plus importante que celle-ci (sur une période de référence d'un an, la durée peut être fixée à quinze mois).

Le Conseil d'État estime donc qu'un délai de quinze mois est un minimum à prévoir s'agissant de la période de report de ces congés et que :


  • s’agissant de droits à congé acquis antérieurement à la suspension du contrat de travail pour maladie et dont la période d’exécution expire à un moment où le salarié est encore en arrêt de maladie : le début de la période de report doit être postérieur à la date de la reprise du travail, ainsi qu’à celle à laquelle l’employeur aura, après son retour, informé le salarié des droits à congés dont il dispose et du délai dans lequel ces congés doivent être pris ;


  • s’agissant des droits à congé acquis au cours d’une période d’absence en raison d’une maladie : le début de la période de report peut être fixé à la fin de la période d’acquisition des droits, si le salarié n’est pas encore revenu dans l’entreprise ;


  • si le salarié revient dans l’entreprise, postérieurement à la fin de la période de référence, mais avant l’expiration de la période de report de quinze mois : le point de départ de la fraction restante de cette période de report devrait être la date à laquelle l’employeur a délivré l’information qui lui incombe.


Le Conseil d'État estime que le délai de forclusion de deux ans courant à compter de la publication de la loi pour réclamer à son employeur les congés que le salarié aurait dû acquérir au cours de ses périodes d'arrêt maladie est suffisant au regard des exigences constitutionnelles et du droit de l'Union Européenne.

Enfin, plusieurs observations sont formulées par le Conseil d'État au Gouvernement s'agissant de l'application rétroactive de la loi au 1er décembre 2009.


À ce titre, il rappelle que depuis 1er décembre 2009, "tout travailleur ayant connu des absences en raison d’une maladie non-professionnelle pendant l’année d’acquisition de ses droits à congés peut invoquer le bénéfice d’au moins quatre semaines de congés annuels payés auprès de son employeur, quel que soit le statut de ce dernier, en se fondant directement, devant les juridictions nationales, sur le droit de l’Union européenne". Il ajoute que :


  • toute disposition d’effet rétroactif qui serait moins favorable aux salariés que ce que prévoit le droit de l’Union européenne méconnaîtrait l’interdiction d’adopter des dispositions contraires aux objectifs d’une directive et, à compter du 1er décembre 2009, les stipulations d’effet direct de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;


  • toute disposition d’effet rétroactif qui serait plus favorable aux salariés que ce que requiert le droit de l’Union européenne, introduirait, en défaveur de l’employeur, une modification rétroactive de la règle de droit qui était directement applicable à la relation de travail depuis le 1er décembre 2009 et porterait atteinte aux droits de ce dernier à moins qu'il soit constaté un motif impérieux d'intérêt général ;


Ainsi, il conclut que :


"Il n’est pas possible, pour le passé, d’introduire rétroactivement, en défaveur des employeurs, des dispositions plus favorables aux salariés que celles expressément requises par le droit de l’Union européenne qui étaient [...] déjà directement applicables à la relation de travail.

Et que :


"Le dispositif de calcul des droits à congés [...] tel que l’envisage le Gouvernement, ne peut [...] être appliqué pour le passé sans que ses effets [...] ne soient encadrés, aux fins de ne pas excéder, s’agissant des droits à congés déjà acquis à la date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi, ce que requiert le droit de l’Union européenne"

Il estime ainsi que le dispostitif devrait être assorti d'un mécanisme empêchant le salarié de bénéficier de plus de vingt-quatre jours de congé annuel au titre de périodes de travail effectif, ou de périodes auxquelles la loi les y assimilait déjà.


Nous attendons donc désormais la parution des nouveaux articles découlant de tous ces juteux débats. Bien évidemment, nous serons au rendez-vous pour vous les expliquer !


Si vous souhaitez en savoir plus sur cet avis, nous vous invitons à le consulter juste ici.



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